Plexus Terra

Sur le chemin de l'orage

L'orage redouble. Les rafales de vent viennent écraser de grosses gifles d'eau contre les étroites mais épaisses vitres de l'hélicoptère. Eric vérifie machinalement son harnais. Comme il l'a déjà fait il y a environ trois minutes.

Bien fixé. Comme il y a trois minutes.

L'appareil offre pourtant une incroyable stabilité vu le temps qu'il fait dehors. Et ce silence...

Pourtant, dans le genre véhicule super bruyant, l'hélicoptère est habituellement cité sur le podium. Mais pas celui-là.

Dehors le ciel est assombri par l'orage, et on ne sait plus trop à quelle heure de la journée on en est. Eric ne peut se fier qu'à sa montre. En un coup d'œil rapide il a la réponse : grande aiguille sur le 10 et petite presque sur... le 2.

Étrange...

Sans ce satané orage qui se déchaîne, il pourrait y avoir un beau ciel bleu en ce début d'après-midi.

Harnais bien attaché ? Oui.

- "Allez, on oublie ce sale temps, on chasse le stress, et on positive !" se dit-il.

D'un naturel optimiste, Eric parvient rapidement à remplir les trois objectifs qu'il vient de se fixer mentalement. Il est surtout excité par les dernières 24 heures qu'il vient de vivre. Et par l'étrange demande qui lui a été faite. Celle qui l'a placé dans cet hélicoptère du silence en pleine tempête. Direction la plate-forme.

Décidément très bizarre cet engin. Eric n'en avait encore jamais vu de semblable. Bien plus gros que les hélicoptères habituels, une carlingue étonnamment profilée et entièrement chromée.

Au-dessus, un étrange cercle entourant huit grosses pales noires très larges, et surmonté d'un dôme très plat et chromé lui aussi.

Il avait également remarqué l'étrange lumière bleutée de plus en plus forte qui était apparue sur le cercle des pales au moment où celui-ci augmentait sa vitesse de rotation.

Mais c'est le bruit de ce monstre de chrome qui l'a le plus frappé. Ou plutôt l'absence de bruit. Il avait arraché du sol ses quelques tonnes avec une facilité déconcertante, et dans un silence presque total.

L'éclairage à l'intérieur de la cabine est tamisé, et toujours aucun bruit, ni de l'orage qui redouble, ni de cet engin chromé volant qui semble le traverser comme s'il effectuait une promenade de santé.

Eric regarde maintenant les deux passagers harnachés, comme lui, dans les entrailles de ce monstre d'acier furtif. Son regard se pose d'abord sur Lya.

La jeune femme, qui doit avoir à peu près vingt-cinq ans, s'est présentée à lui comme océano-géologue. Étant lui-même scientifique, il a été intrigué par ce titre plutôt rare : on n'en croise pas tous les jours !

Mais il a également et surtout été captivé par son visage fin et rayonnant, ses cheveux rassemblés en une sage queue de cheval, par son regard profond et par ses yeux clairs dont il arrive difficilement à détourner les siens.

Lya a fini par s'apercevoir qu'il la regarde, et sort de sa rêverie les yeux dans le vague pour le fixer.

Un sourire naissant accompagne sa question :

- "Pas trop tendu ?"

Gêné, Eric enlève ses mains de son harnais qu'il tient machinalement mais fermement, et répond d'un air aussi calme et décontracté qu'il peut :

- "Ça va, mais quel temps dehors !"

- "Oui je vois ça. Il est fort cet hélicoptère, non ? On ne sent presque rien."

- "C'est vrai. Ça doit être un modèle très perfectionné."

Un éclat de lumière violente éclaire d'un seul coup l'ambiance tamisée, puis disparaît aussi vite qu'il est apparu.

Silence. Conversation soudainement arrêtée.

Puis dans un sourire encore plus charmant, Lya poursuit :

- "Par contre les éclairs, on les voit bien, eux..."

- "On les voit, mais vous avez remarqué ? On n'entend aucune déflagration. C'est étrange : vu la proximité des éclairs, il devrait y en avoir non loin de nous !"

Une nouvelle voix vient de prendre part naturellement à la conversation. C'est celle de Marc, le troisième passager, lui aussi bien calé dans son harnais, et n'osant pas trop gesticuler. Le physicien chimiste d'une quarantaine d'années environ regarde par les petites vitres dans toutes les directions. Il semble étonné par la situation dehors.

Les regards d'Eric et de Lya se croisent, puis se tournent vers lui :

- "Et... qu'est-ce qui est étrange ?" avance Eric.

Marc sourit et explique, en haussant à peine la voix tant l'insonorisation de l'engin volant est remarquable :

- "Nous sommes au beau milieu d'un orage, d'accord ?

Et comme dans tout orage, il y a une haute activité électrique et magnétique.

Or, contrairement à ce que pensent beaucoup de gens, les déflagrations - ce que l'on appelle communément le tonnerre - sont le résultat sonore immédiat des éclairs, et ces deux phénomènes se produisent exactement en même temps.

Il ne peut y avoir l'un sans l'autre."

Eric, en tant qu'astrophysicien spécialiste du champ magnétique et du magnétisme, connaît ces phénomènes par cœur.

La jeune océano-géologue moins.

Eric s'en aperçoit, et complète :

- "C'est tout à fait cela. Pour résumer, les énormes nuages d'orage brassent de fortes quantités d'eau qui se réchauffent et se refroidissent très vite suivant leur altitude dans le nuage.

Cela crée des frottements et charge l'air de particules électriques : positives en haut du nuage, et négatives à sa base. "

Eric poursuit :

- "Quand la différence de polarité est trop importante, un arc électrique se forme entre ces deux "bornes".

Sur le passage de cet arc, l'air est réchauffé si brutalement - genre 30 000 degrés, soit cinq fois la température à la surface du soleil - que les molécules éclatent en libérant trois énergies."

C'est Marc qui poursuit, invité des yeux par Eric :

- "Calorifique, acoustique et électromagnétique."

Lya enchaîne :

- "Je comprends. Et là, vous cherchez désespérément le côté acoustique de la chose."

- "C'est ce qui m'étonne, en effet" répond Marc en tournant à nouveau la tête vers la vitre, et en scrutant les environs. Sans trouver de réponse logique à ce qu'il cherche, il commence malgré lui à laisser transparaître une certaine inquiétude.

- "Mais je croyais que les éclairs, c'était toujours entre les nuages et la terre" demande Lya.

Marc et Eric se regardent. Le premier laisse le second répondre :

- " En fait, il existe deux types de zones d'éclairs : entre le haut et le bas d'un nuage - on appelle cela les éclairs d'altitude - et entre le bas des nuages et le sol - ce sont les "terrestres", donc les plus dangereux."

- "Je vois. Mais dans un avion... ou un hélicoptère, je suppose que les éclairs d'altitude sont tout aussi dangereux, non ?" s'interroge Lya tout haut.

- "C'est clair que dans notre cas..."

Eric s'interrompt d'un coup, et écoute attentivement...

Son regard se fige, son visage se tend. Il a distingué de petits claquements tout autour d'eux, de plus en plus rapprochés.

Il hurle :

- "Recroquevillez-vous, bouchez-vous les oreilles, fermez les yeux et ouvrez la bouche, vite !" et il exécute ces quatre instructions instantanément. Sans chercher à comprendre ce qu'il se passe, ses deux interlocuteurs l'imitent aussitôt.

Dans les deux secondes qui suivent, même les paupières closes, un éblouissement subit enveloppe les trois scientifiques. Comme un grand écran blanc. Une demi-seconde peut-être. Puis plus rien.

Eric se redresse le premier et regarde tout autour :

- "C'est bon, c'est passé !" lâche-t-il à ses camarades de tempête.

Lya et Marc l'imitent.

- "Merci pour ces précieux conseils ! Mais que s'est-il passé, là à l'instant ?

Cette lumière très puissante..." demande Lya.

Eric et Marc se regardent à nouveau. Ils ont compris.

- "Et bien on en parlait justement... et là, on vient de se prendre un éclair ! "

- " Oui, en plein sur nous !" insiste Eric. J'ai entendu juste avant les petits bruits caractéristiques qui indiquent que l'on se trouve sur le chemin d'un futur éclair. Les claquements électro-magnétiques qui s'amplifient." explique-t-il.

- "Excellent réflexe. Merci Eric" répond Lya, avec un sourire désarmant. "D'où les instructions de protection ?".

Eric est momentanément perdu dans le regard de la jeune femme. Et du coup pas franchement concentré sur sa dernière question.

C'est Marc qui répond. Et ça tombe bien.

- "Exactement." Mais on aurait dû être beaucoup plus secoué que cela.

On dirait que cet engin est équipé d'un dispositif qui nous a protégés de la décharge !" s'étonne Marc avec curiosité mais surtout soulagement.

Étrange appel, étrange engin, étrange mission.

Et ils ne sont qu'au début de leurs surprises...

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